Gentilshommes d'Amance

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LES FRANQUIGNONS DU BAILLIAGE DE SAINT-MIHIEL

ET

LES GENTILSHOMMES D’AMANCE

PAR

M. R. DE SOUHESMES

 Henri Lepage, dans son remarquable ouvrage Sur l’organisation et les institutions militaires de la Lorraine, a fait connaître les différents modes de recrutement de notre armée nationale. La cavalerie était fournie par les contingents de la noblesse, astreinte au service militaire par la loi féodale qui imposait également aux roturiers le guet, l’ost et la chevauchée. Charles III forma les milices dans les campagnes, les gardes bourgeoises dans les villes, et, à la fin du XVIe siècle, l’armée lorraine possédait une organisation complète. A ces contingents réguliers il faut ajouter les compagnies d’arbalétriers, couleuvriniers et arquebusiers qui se formèrent jusque dans les moindres villages, à une époque que l’on n’a pas encore déterminée.

Les ducs de Lorraine et les comtes puis ducs de Bar favorisèrent de tout leur pouvoir la formation de ces corps, en leur accordant de nombreux privilèges: exemption du service ordinaire du guet, affranchissement de la taille, des corvées, etc. En France, les rois agirent de même à l’égard des compagnies qui s’organisèrent dans leurs états, et dont les membres prirent dès lors le nom de francs-archers. Ceux-ci, n’étant pas taillables, ne tardèrent pas à se prétendre nobles et ils constituèrent la noblesse archère.

En France, dit Bermann, la profession des armes a anobli pendant longtemps. Bien que ce mode d’anoblissement ait été supprimé par Henri IV, sous Louis XIII tous les hommes d’armes des compagnies d’ordonnance étaient nobles, lorsqu’ils n’exerçaient aucun autre emploi. En Lorraine, les anoblissements pour services militaires furent fréquents, et H. Lepage en a donné la liste, mais la profession des armes n’a jamais anobli ipso facto. La Coutume admettait bien la franchise de certains roturiers à raison de « leurs états et offices», mais ces affranchissements différaient essentiellement de la noblesse: ainsi, ils expiraient avec la cause qui les avait fait naître ci par suite n’étaient pas héréditaires; ils ne conféraient pas tous les privilèges nobiliaires et se bornaient généralement aux seules exemptions d’impôts, de corvées, de guet et de logement des gens de guerre.

Cependant la Recherche de Didier Richier vient de nous révéler l’existence dans le bailliage de Saint-Mihiel, d’une classe de privilégiés offrant une certaine analogie, je crois, avec la noblesse archère de France: on les appelait les franquignons.

Franquignon est évidemment un dérivé du mot franc, pris dans le sens de « noble, libre, exempt de charges et d’impôts. On appelait de même franquet le soldat d’une compagnie franche, et francquiesme l’héritage qui, sans être fief, était franc de certains droits. La désinence ignon était très usitée ou Lorraine, ou de Saintin on a fait Saintignon, de Colas Collignon, de Ponce Poincignon, de Pierre ou Périn Pérignon, etc. De même franc a formé franquignon, et ce qualificatif est devenu un nom propre car M. Guyot cite un habitant de Mirecourt désigné, dans un acte du XIVe siècle, sous le nom de Franquignonus. On doit attribuer la même étymologie à franc quillon et francillon, nom porté par un littérateur anglais et par deux communes de France, sans compter la comédie d’Alexandre Dumas fils. L’institution des franquignons paraît avoir été spéciale au bailliage de St-Mihiel, et en usage seulement dans les localités frontières du pays messin, avec lequel les ducs étaient constamment en guerre. Ce dangereux voisinage avait déjà donné naissance au curieux privilège des habitants de Norroy-le-Veneur. Pour les accoutumer au métier des armes, Henri II et Charles IV leur accordèrent le droit de chasse, et dès lors le village quitta le nom de Norroy-devant-Metz pour prendre celui de Norroy-le-Veneur.

Les franquignons étaient des bourgeois aisés que les baillis affranchissaient de toutes tailles et aides, à condition de se tenir armés et montés, prêts à marcher à toute réquisition. Chose curieuse, cet affranchissement n’était valable que durant la vie du bailli qui l’avait accordé; son successeur n’était pas tenu de le maintenir, ce qui fait qu’à chaque changement de bailli, le franquignon pouvait se voir imposé comme un simple roturier. Son affranchissement différait donc essentiellement d’un anoblissement, et Bermann a parfaitement marqué la distance qui l’en séparait. Non seulement la qualité de franquignon n’était pas héréditaire, mais elle n’était même pas viagère, et, en dehors de certaines exemptions d’impôt, elle ne conférait ni la qualité, ni les privilèges de la noblesse. Cependant, à l’exemple des francs-archers français, quelques franquignons barrois « pour n’y avoir eu du passé aulcun esgard » finirent par se prétendre nobles et c’est en invoquant cette qualité qu’ils se présentèrent au poursuivant d’armes Didier Richier, lors de la recherche de 1577.

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Didier Richier avait été moins sévère pour les gentilshommes d’Amance qu’il avait recensés deux années auparavant, le 13 août 1579, et dont l’origine paraît avoir quelque analogie avec celle des franquignons. Il est à peine nécessaire de faire remarquer qu’ici le mot gentilhomme ne peut être pris dans le sens de membre de l’ancienne chevalerie, ou même d’anobli ayant reçu des lettres de gentillesse. Synonime de franquignon il signifie simplement homme franc, comme dans les expressions de gentilhomme verrier et de gentilhomme de Laveline. Le poursuivant d’armes prend soin d’établir une distinction entre les gentilshommes d’Amance et les nobles qui habitent cette ville. Il débute par ces mots: « S’ensuyt les qualités des susnommés gentilshommes et nobles » et plus loin il qualifie Claudon Hillaire de « gentilhomme et noble homme ». En 1579, les gentilshommes d’Amance étaient au nombre de quatorze et formaient six familles.

Claudon Hillaire et ses trois fils se qualifient gentilshommes à l’exemple de leur père et aïeul, Didier Hillaire qui, dès le 19 Juin 1527, avait fait ses reprises pour ce qu’il tenait en fief au bailliage de Nancy. Le 1er juillet suivant, le même Didier Hillaire avait fait ses foi et hommage pour ses parts dans le fief de la Grange, consistant en une maison audit lieu de la Grange, une autre maison située à La Neuvelotte, le quart du four de cette localité, des terres, des bois, etc. Des nombreuses pièces présentées par les Hillaire ainsi que des dépositions entendues lors de l’enquête du 13 juin 1532, il résulte que leurs auteurs n’ont pas été anoblis, et que, déjà au temps de la guerre des Bourguignons, ils passaient pour être « descendus de gentillesse et réputés gentilshommes de la Grange ». Les témoins ajoutent qu’ils en portaient les armes, c’est-à-dire un lion rampant.

Dom Pelletier signale, vers la fin du XVI° siècle, le mariage de Perrin Philippe avec Jeanne Hillaire de la Grange, fille de Didier Hillaire, Ecuyer, seigneur de la Grange, et veuve de Louis Philippe, secrétaire ordinaire de Charles III.

Jean et Demenge de la Place se qualifient également gentilshommes, ainsi qu’Andreu Hadomey, dont nous retrouvons le nom, transformé en Hauldomme, parmi les propriétaires de la Neuvelotte en 1527.

Nicolas Jacquot, dit le Vieux Prévôt, son fils Nicolas, receveur, et son neveu Nicolas Jacquot, dit Gellée, prouvent par témoins que leurs auteurs et eux-mêmes ont « estez appeléz avec les aultres nobles du pays tantes et quantesfois qu’ilz sont estéz mandéz à ce trouver, où ilz y auroient assistéz en bon équipaiges bien montéz et armés tousiours tenus et réputéz du nombre des gentilhommes d’Amance, joys et usez des mesmes droictz et privilèges comme ont faict et font aultres dictz et appelez gentilzhommes d’Amance……Plus ont dictz sur ce interrogéz qu’ils nont veuz les susnomméz gentilzhommes d’Amance porter armoirie de leur vivant ny aux enterremens de leurs prédécesseurs et ne scavent lesditz tesmoings que lesditz gentilzhommnes ayent armoiries combien que j’ay veu, en la maison dudict Nicolas Jacquot dict le Vieux Prevost, sa vasselle destain et autres estre marquée d’une armoirie où est inculpé ung lion que sont les armoiries de la Grange proche dudict Amance. »

Ainsi, les Jacquot n’avaient pas d’armes particulières, mais, de même que les Hilaire, ils avaient emprunté celles de la Grange. Les Jacquot étaient de père en fils fonctionnaires à Amance, où l’emploi de receveur était exercé, dès 1538, par Nicolas Jacquot, de 1571 à 1585 par Nicolas Jacquot le jeune, et les années suivantes par Houillon Jacquot. A la même époque, la charge de prévôt était confiée à un autre Nicolas Jacquot, père du receveur; enfin, en 1546 et 1594, c’était encore un Nicolas Jacquot qui était contrôleur en la gruerie d’Amance. Le receveur Nicolas Jacquot, qui avait comparu devant Didier Richier en 1579, fut poursuivi quelques années après, pour malversation, et condamné à restituer au Trésor 211 résaux  et, 2 bichets et demi de froment, plus 53 résaux d’avoine; ses biens furent saisis et ses meubles vendus, le 31juillet 1589.

Colas et Gérard dits Gentilhomme se déclarent fils de Didier Gentilhomme, en son vivant demeurant à Amance.

Nicolas et Jacquemin Mandat se déclarent fils de Jean Mondat dit Gentilhomme, en son vivant demeurant à Amance, qui avait été maintenu dans sa franchise, le 14 janvier 1519.

La copie de la Recherche que possède M. de Haldat du Lys contient ici un paragraphe intercalé dans le texte primitif car il ne figure pas dans l’expédition authentique que j’ai consultée. On y lit que neuf gentilshommes d’Amance, Jehan et Bertel de la Place, Colas et François Jacquot, Henri Marchal, Mengin Regnault, Nicolas Haudommier, Mengin et Bastion Le Roy obtinrent du duc Antoine un décret les maintenant dans leur franchise. La même note ajoute que Nicolas Jacquot, dit le Vieux Prévôt, étant mort, le 23 novembre 1580 (c’est-à-dire 15 mois après l’enquête de Didier Richier), ses héritiers firent peindre pour ses funérailles des armoiries « et icelles affiquées après des torches comme aultres nobles ont accoustumé faire en telle et semblable cas. Combien que je n’ay trouvé et ne se trouvera le dit feu Jacquot et ses prédécesseurs ayent porté aulcunes armoiries. » En marge sont peintes les armes suivantes: D’azur au lion d’or armé et lampassé de gueules, avec la mention: « Armoirie de la maison de Saulx en Bourgogne ».

En résumé, les gentilshommes d’Amance descendaient-ils des anciens hommes libres signalés dans cette ville, dès l’année 1137 ? Ou bien tiraient-ils simplement leur franchise soit de concessions analogues à celles obtenues par les franquignons, soit des privilèges accordés aux compagnies d’arbalétriers qui existaient à Amance, bien avant le XVIe siècle? Je n’ai pu le découvrir.

La qualification de gentilhomme, l’absence d’armoiries et de toute trace d’anoblissement permettent de supposer qu’ils s’attribuèrent la noblesse, à l’exemple des francs-archers français et des franquiqnons du bailliage de Saint-Mihiel; mais, plus heureux que ces derniers, ils virent le souverain reconnaître leur prétention.

Il est intéressant de constater, à notre époque, l’existence d’institutions analogues à celles dont nous venons de nous occuper. Dans les confins militaires autrichiens, dont l’organisation datant du XVIe siècle n’a été supprimée qu’en 1872, chaque soldat recevait, outre ses armes, un fief de terre et de cheptel, on échange d’un service militaire qui durait presque toute la vie. Les Cosaques, d’après la loi de 1875 encore on vigueur, sont équipés, armés  et montés à leurs frais, ils sont tenus à vingt ans de service, dont quatre de présence effective sous les drapeaux; mais chaque homme reçoit une concession d’environ 27 hectares, dont le revenu lui appartient. Enfin, nous avons, sur les frontières d’Algérie, des goums indigènes dispensés d’impôt, à charge de se tenir équipés, armés, montés à leurs frais, et de marcher à toute réquisition : ces cavaliers du Maghzen, comme on les appelle, sont de véritables franquignons.

Cela prouve une fois de plus que, malgré la marche du temps, la différence des races et le progrès des mœurs, les situations analogues engendrent des institutions semblables.

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