Dom Calmet

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Dom CALMET

EUMONT

EUMONT Village du Diocèse de TouL, à une lieue & demie de Nancy vers le Nord, autrefois annexe du Village de Lay S. Christophe, aujourd’hui érigé en Cure par M. de Camilly Evêque de Toul, par sentences du 21. Juin 1708. confirmée par M. l’Archevêque de Tréves. Le Prieur de Lay S. Christophe est collateur[1] & décimateur pour la totalité de la dixme. Le Curé a une pension raisonnable à la charge du Prieur Seigneur du lieu. Souveraineté de Lorraine, Bailliage & Cour souveraine de Nancy. L’Eglise est dédiée sous l’invocation de saint Remi Archevêque de Reims. Il y a dans l’Eglise paroissiale une Chapelle de Notre-Dame de Pitié à la collation du Curé.

Ce Village n’a rien de singulier en lui-même, mais il est devenu célèbre dans le Pays, depuis l’an 1719 par une maladie extraordinaire arrivée au mois de Mars de cette même année à une fille d’Eumont, nommée Marie Virion, âgée de vingt-six ans, fille d’un laboureur du même lieu.

Cette fille a été pendant trois ans huit mois sans boire ni manger rien de solide, un an et demi sans aller à la garderobe[2]; elle tomboit de jour & de nuit dans des accès cataleptiques, dans lesquels son corps étoit en certain tems pesant comme une statue de plomb, & en d’autres d’une légèreté surprenante ; les yeux fixés& brillans, les paupieres ouvertes & immobiles, son corps insensible, son poulx tendre & réglé, étoit le seul témoin qu’elle n’étoit point morte. Elle restoit dans telle attitude qu’on lui donnoit, lorsqu’on lui pressoit le menton avec le doigt, sa bouche s’ouvroit  & restoit ouverte, lorsqu’avec le bout des doigts l’on. tiroit l’extrémité de sa coeffe sa tête & son corps s’elevant’ avec une légéreté surprenante, ayant les jambes aussi élevées & restant sur son séant comme sur un pivôt, on la faisoit tourner çà & là avec une facilité inconcevable.

Ce qui occasionna la maladie de cette fille, fut une chute qu’elle fit de dessus un grenier sur terre, étant chargée d’un fardeau de paille. Elle étoit dans ses régles, qui furent supprimées, ce qui lui causa un vomissement de sang on la saigna plusieurs fois au pied; on la mit dans l’usage des potions vulnéraires[3], qui arrêterent son vomissement de fang. Elle entra dans un dégoût pour toutes nourritures, tant solide s que liquides. Dans les tems qu’elle devoit avoir ses régles, elle vomissoit le sang; on lui donna des opiates[4] hydragogues[5], provocatifs & apéritifs. Tous les remedes devinrent inutiles; la longueur de sa maladie augmenta jusqu’au point qu’elle tomba dans une catalepsie imparfaite, périodique & compliquée.

Lorsque cette fille sortoit de ces accès qui duroient 10. 15. 18, jusqu’à 24 heures, elle prononçoit un discours édifiant, des prières chrétiennes. Une foule d’habiles gens de Nancy & des Provinces voisines accouroient à Eumont ; les uns disoient qu’il y avoit du surnaturel & du miracle ; les autres de l’extase d’autres prononçoient hardiment que c’étoit une pure tragédie feinte & simulée. Il n’étoit pas possible d’asseoir un jugement certain sur cette maladie prodigieuse.

On remarquoit à cette fille de l’embonpoint, un visage fleuri, ses bras charnus; mais son ventre étoit en apparence attaché aux vertébres, de même que les parties solides.

En l’année 1722. au mois d’Août, elle eut une transpiration de sang dans les mains, aux pieds, à la tête & fur le côté gauche les doigts de ses pieds & de ses mains se retirerent en dedans, & sont demeurés crochus sans pouvoir s’en servir d’avantage, jusqu’à ce qu’elle a été parfaitement guérie. Ses genoux étoient enflés. Cette sueur de sang ayant surpris le public, & fait crier de nouveau au miracle, le grand concours de peuple augmenta plus qu’auparavant. On avoit beau dire que c’étoit une maladie compliquée, que les Médecins Polonois ont nommée Plica, en ce qu’elle plie ou bouchonne les cheveux; ou Chiragra., comme étant une espéce de goutte, qui commence par ce facheux symptome de sueur de sang & entortillement de cheveux.

On ne doit donc pas être surpris si Marie Virion a eu les doigts des extrémités retirés, puisque la goutte tait cet effet à toutes sortes de personnes qui sont entichés de la froide.

Mais comment concevoir, disoit-on, que cette fille qui avoir été si long-tems sans prendre aucun aliment ni solide ni liquide, ait pu avoir du sang en assez grande quantité pour pouvoir pousser son action du centre à la circonférence, & occasionner une transpiration de sang; cela est aisé à comprendre, si l’on fait attention que c’est une paysanne forte, robuste, pleine de sang & de feu, sanguine, & accoûtumée au travail, qui perd ses regles, qui étoient abondantes auparavant, sans qu’elle en soit incommodée, qui les vomit pendant quelque tems, & que tout se trouve supprimé. Comment donc le sang ne l’auroit-il pas étouffé par le défaut de mouvement, le manquement de force, la privation d’élasticité, s’il n’eût fait à la nature un dernier effort pour évacuer ses superfluités par la voye de transpiration, dont elle se sert en cette occurrence de maladie, comme d’une route extraordinaire. Tout étoit en presse & en contrainte dans ce corps; le sang serré par son épaississement, les vaisseaux n ayant pas assez de diamètre, il est chassé de toutes parts sans régIe & fans retraite, ne cherche qu’à s’échapper & à s’ouvrir des issuës, soit par les sueurs de sang, soit par le nez, par la bouche, soit par les selles & par les urines ; tout cela ressemble-t-il si mal à ce qui est naturel à l’homme ? On peut rapporter à cela quelques exemples de faits certains arrivés à Nancy, dans le tems que cette fille d’Eumont transpira le sang Madame de Gerbéviller en rendit une palette par l’orteil droit, sans douleur : combien feu M     Secrétaire de l’Hôtel de Ville de Nancy, n’en a-t-il pas sué dans sa goutte, accompagnée de Fluxion de poitrine ? Le 24. de Mars 1734. une pensionnaire de douze ans chez les Dames de la Congrégation de Nancy, en a  rendu une once par le front. On sera encore surpris lorsqu’on apprendra que deux Dames de la même Ville, étant dans des transpirations fortes , lorsqu’on les changeoit de linges en remuant leurs couvertes, certaines matieres sulphureuses, affinées & volatiles sorties de leurs corps, lors qu’ont les agite font paroitre leurs lits en flammes.

Depuis que feu S. A. R. Léopold I. fit enlever Marie Virion de son Village, pour la mettre sous une garde sûre à l’Hôpital Saint Charles de Nancy, dans une chambre grillée & fermée à la clef, avec une infirmière qui l’observoit avec soin, tout ce grand concours de monde disparut, parce qu’il y eut défense de la visiter davantage. M. Mengin, premier Médecin ordinaire de S. A. R. qui fut chargé de la conduite de cette maladie peut répondre qu’elle n’usa d’aucun aliment pendant deux mois lorsqu’il lui faisoit avaler deux cuillerées d’eau, une demi heure après elle les rendait avec convulsion, aussi claire qu’elle l’avoit prise. Cette expérience a été répétée plusieurs fois.

Le 18 Octobre 1722 cette fille resta toute la nuit dans son catalepsis, qui dura jusqu’à neuf heures du matin: son Médecin l’interrogea ce qu’il n’avoit pû faire depuis six semaines, parce qu’elle tomboit  continuellement dans ses accès. Il examina les symptomes les plus facheux qui la fatiguoient; il remarqua que la douleur étoit à l’orifice inférieur de l’estomac, qui s’étendait dans le ventre; il jugea que c’étoit le ver solitaire, (en latin folium) qui formait cette scêne la plus tragique-, en irritant les parties nerveuses des intestins. Salmuth cent.2.-observ 43. Auteur fort accrédité en médecine, rapporte un exemple de convulsion, de paralisie occasionnée par les vers.

On avoit déja employé mais inutilement plusieurs antivers lors de la naissance, dans l’état & l’augmentation de sa maladie. Sur les indications, -le Médecin lui donna six prises de dragées antivers de sa composition; la premiere prise la travailla beaucoup, jusqu’au point qu’elle revint de son catalepsis, qui fut le 23 dudit mois. Sur le soir cette fille étant dans son bon sens, elle reçut un remede de lait, avec lequel elle rendit, à sept heures , une portion de ver solitaire d’une aulne[6] de longueur avec la tête : on continua les dragées jusqu’au 28. qu’elle prit les dernieres ; il n’y eut point de jour qu’elle n’ait jetté des vers sanguins, jusqu’a 24. avec le restant du ver solitaire qu’elle rendit par lambeaux.

La catalepsie fut guérie radicalement par ces dragées. Il s’agissoit de faire prendre de la nourriture à la malade. De quelle façon pouvoit-on lui en proposer? les solides ne lui convenoient nullement, parce que son estomac en avoit perdu l’habitude ; il étoit trop faible, elle ne les auroit jamais soutenu. On lui fit préparer de l’eau de poulet : elle vomit les premieres cuillerées ; on lui en rendit, elle n’en vomit que la moitié. On suivit cette méthode jusqu’à ce qu’elle en soutint six Cuillerées , qui rouvrirent les conduits. On passa de là à quelques pâtes d’Abricots, à une ptisanne[7] pectorale, à des purgatifs antivers, parce que la gorge était un peu échauffée par l’effet des dragées; insensiblement elle se remit à l’usage des alimens solides & à la vie commune. Le 20 Janvier 1723 ses pieds, ses genoux & ses mains furent redressés par des bains aromatiques & nervalles[8]. Le lait qu’elle prenait par intervalle était encore se son goût.

Je suis témoin que cette fille d’Eumont prenoit  de tems en tems un peu de miel & d’eau; qu’elle recevoit la sainte Hostie dans la communion, & elle m’a avoué qu’elle pourrait prendre de même par intervalle des hosties non consacrées. Je suis témoin aussi que faisant semblant de toucher sa coeffe quoique je ne la touchasse pas, elle s’élevait & suivoit la main qu’elle croyoit qui la touchoit.

Toutes les chroniques de Lorraine sous l’an 825. parlent d’une fille des environs de Commercy, âgée de douze ans , qui demeura trois ans sans prendre aucune nourriture en 825. elle commença à manger à l’ordinaire.

Une fille nommée Catherine Charpy, âgée de 22 ans, tomba le samedy veille de Pâques 1662.. ensuite d’un grand mal de gorge dans l’impuissance de pouvoir rien avaller de solide ni de liquide. M. Ban Médecin à Troyes en Champagne, a écrit à M. Dodart Médecin de Madame la Princesse de Conty, le détail de cette maladie, & M. Dodart à écrit une longue lettre sur le même sujet pour montrer qu’il n’y a rien de surnaturel ni de miraculeux dans tout cela, & M. Gauthier a encore écrit sur le même sujet le 26. Novembre 1670. Enfin M. Mallere Evêque de Troyes donna sa déclaration le 19. Juillet 1673. par laquelle il dit qu’il n’y a dans toute la conduite de Catherine Charpy, qu’illusion, déguisement & mensonge, &c.

On peut voir toutes ces pièces dans le tome 3. des nouveaux mémoires d’Histoire & de Critique de M. l’Abbé d’Artigny, Article LV. pg. 569. & suivantes.

[1] Celui qui avait le droit de conférer un bénéfice( ecclésiastique)

[2] Lieu où l'on mettait la chaise percée, alors que les latrines n'étaient pas communes dans les maisons

[3] Qui est propre à la guérison des plaies ou des blessures. Plante vulnéraire.

[4] Terme de pharmacie. Médicament fait de poudres composées et aussi de pulpes et d'extraits, avec des sirops à base de sucre ou de miel. L'électuaire porte le nom d'opiat quand il y entre de l'opium Pâte pour nettoyer les dents.

[5] Terme de médecine. Qui a la propriété d'évacuer la sérosité. Membrane séreuse, ou, substantivement, une séreuse, membrane circonscrivant une cavité généralement close de toutes parts, et sécrétant une humeur dite sérosité.

[6] 639 mm

[7]   Nom, chez les Grecs, de l'orge pilée, avec laquelle on faisait une décoction qu'on administrait aux malades soit non passée et avec le grain, soit passée.

    Aujourd'hui on dit tisane ; et notre tisane n'est pas la ptisane des Grecs.

[8] Terme de médecine. Qui est bon pour les nerfs. Remèdes nervaux.

 

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