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LE CHÂTEAU D’AMANCE, PAR M. HENRI LEPAGE. Sur le monticule qui domine le village d’Amance s’élevait, au moyen-âge, une forteresse importante, bâtie peut-être sur l’emplacement d’un ancien castellum romain. La date de sa construction n’est pas connue, mais il est probable que, comme la plupart des demeures féodales, celle forteresse précéda la fondation de la ville qui s’étendait autour et à l’abri de ses murailles. Ce qui pourrait fortifier cette présomption, c’est le nom de Amantium Castrum donné, par quelques-uns de nos historiens, au village d’Amance, autrefois qualifié de ville et d’antique chancellerie de Lorraine (antiqua Lotharingiœ cancellaria). D’après cette hypothèse, qui me semble parfaitement admissible, car il est certain que les châteaux, de même que les monastères, ont été le noyau d’un grand nombre de localités devenues dans la suite importantes, notre pays en offre beaucoup d’exemples, et Nancy ne paraît pas avoir d’autre origine ; d’après cette hypothèse, dis-je, le château d’Amance remonterait au Ixe siècle, puisque la ville à laquelle il a donné son nom existait déjà à cette époque éloignée. On la trouve en effet, mentionnée dans une. charte de Louis de Germanie, du 25 novembre 875, et dans un diplôme de Thierry Ier, du mois de février 962, par lesquels ces deux princes confirment les biens de l’abbaye de Sainte-Glossinde de Metz, parmi lesquels se trouvent les dîmes d’Amance et les offrandes de la chrétienté de Dommartin. La forteresse d’Amance remonterait donc aux premiers âges de la féodalité, c’est-à-dire, aux temps où s’élevèrent de toutes parts ces châteaux qui couvrirent notre sol et dont les ruines y sont encore éparses çà et là. On sait qu’avant l’invasion germaine, les grands propriétaires habitaient soit dans les cités, soit dans de belles maisons agréablement situées dans leur voisinage, ou dans de riches plaines, sur le bord des fleuves et des rivières. Dans les campagnes proprement dites étaient semées les villa, espèces de métairies, grands bâtiments servant à l’exploitation des terres, et à la demeure des colons ou des esclaves qui les cultivaient. Tel était, pour les diverses classes, le mode de distribution et d’habitation que les peuples germaniques trouvèrent en Gaule au moment de l’invasion. Ils s’établirent d’abord dans les habitations des Gallo-Romains, soit dans les cités, soit dans les villa, au milieu des campagnes et de la population agricole; plutôt même dans ces dernières demeures, dont la situation é!ait plus conforme à leurs habitudes nationales. Cependant un changement commence bientôt à s’opérer. Les invasions continuent; le désordre et le pillage se renouvellent sans cesse; les habitants des campagnes, anciens ou nouveaux venus, ont besoin de se garder et de se tenir sans cesse sur la défensive. On voit les Villa s’entourer peu à peu de fossés, de remparts de terre, de quelques apparences de fortifications. Du reste, avant même que l’invasion fût consommée, et. pour résister à ses désordres, pour échapper à ses dangers, la population des campagnes avait commencé, sur plusieurs points, à se réfugier sur les hauteurs, dans des lieux de difficile accès, et à les entourer de certaines fortifications. Dans l’épouvantable anarchie des siècles suivants, les causes qui avaient poussé la population à chercher de tels refuges, et à les environner de moyens de défense, devinrent de plus en plus pressantes; il y eut nécessité de fuir les endroits aisément accessibles, de fortifier sa demeure. Et non seulement on chercha ainsi la sécurité, on y vit un moyen de se livrer sans crainte au brigandage, et d’en mettre à couvert les fruits. Parmi les conquérants, beaucoup menaient encore une vie de course et de pillage; il leur fallait un repaire où ils pussent se renfermer après quelque expédition, repousser les vengeances de leurs adversaires, résister aux magistrats qui essayaient de maintenir quelque ordre dans le pays. Tel fut le but qui fit construire, dans l’origine, un grand nombre de châteaux. C’est surtout après la mort de Charlemagne, sous les règnes de Louis-le-Débonnaire et de Cbarles-le-Chauve, qu’on voit le territoire se couvrir de ces repaires; ils devinrent bientôt si nombreux et si redoutables, que Charles-le-Chauve, malgré sa faiblesse, et dans l’intérêt de l’ordre public comme de son autorité, crut devoir tenter de les détruire. Il publia, à cet effet, en 864, un capitulaire qui n’amena aucun résultat, et dont ses successeurs ne réclamèrent pas même l’exécution. Aussi le nombre des châteaux alla-t-il croissant , sous les derniers Carlovingiens, avec une extrême rapidité. Tel est le tableau, que trace l’auteur de l’Histoire de la Civilisation en France, de l’époque barbare à laquelle se rattache, sans aucun doute, l’origine de la plupart des forteresses qui couvrirent le sol de la Lorraine, et parmi lesquelles celle d’Amance, dont les derniers vestiges ont aujourd’hui disparu, joua un rôle d’une certaine importance. On pourrait ajouter, je crois, que les débris des constructions romaines servirent, sur différents points, à Mousson par exemple, peut-être aussi à Amance, si l’opinion de quelques antiquaires était admise, de fondements aux châteaux-forts du moyen âge. Quoiqu’il en soit, les premiers propriétaires connus du château et de la terre d’Amance, sont, au dire de nos historiens, les comtes de Lunéville, l’abbaye de Sainte-Glossinde ne jouissant, sans doute, que de certains droits sur les dîmes. Mais c’est seulement à partir des dernières années du XIe siècle que nous trouvons des documents précis sur l’existence de ce château : on lit dans un Cartulaire du prieuré de Laître, qu’en 1085, Sophie, comtesse de Bar et d’Amance, donne à l’abbaye de Saint-Mihiel une petite chapelle sous Amance, que Thierry 1er, son grand-père, avait construite sur son propre fonds, ensemble la chapelle du château et les dîmes des places vides, des défrichements, des fonds seigneuriaux, etc. Par une charte datée de 1102, Ricuin, évêque de Toul, atteste que le comte Frédéric a donné, en sa présence, à l’abbaye de Saint-Mihiel, pour son salut et pour celui de ses ancêtres, l’église de Sainte-Marie-sous-Amance, avec la chapelle du château, et toutes les dîmes, grosses et menues du château et du bourg. Ainsi donc, il résulte de titres authentiques que le château d’Amance existait au XIe siècle, et qu’il appartenait aux comtes de Bar. Environ un siècle plus tard, il échut aux ducs de Lorraine par le mariage d’Agnès, fille du comte Thibaut Ier, avec le duc Ferry II. C’est en 1207 qu’avait lieu cette alliance, et onze ans ne s’étaient pas écoulés, que déjà ses nouveaux possesseurs attiraient, contre la forteresse d’Amance, les armes d’un ennemi puissant. Le duc Thibaut ayant ravagé les terres de l’Empereur, celui-ci entre en Lorraine, menaçant le duc de toute sa vengeance. Thibaut cherche un asile dans le château d’Amance, regardé sans doute alors comme une des meilleures places de guerre de la province. L’empereur s’avance sous ses murs avec une armée grossie par les troupes de Blanche, comtesse do Champagne. Thibaut se défend vaillamment, mais son courage est impuissant contre le nombre de ses ennemis; Amance est pris d’assaut, la garnison passée au fil de l’épée, le duc étroitement enfermé dans une tour où il est gardé à vue et d’où il ne sort, dit un chroniqueur, « que quand il eut dit et promit qu’il se regarderoit tenir en tant que vassal li dit Amance de la comtesse de Champagne. » Je ne raconterai pas les suites de cet événement; je ne dirai pas comment l‘Empereur emmena Thibaut prisonnier en Allemagne, et comment, pour se débarrasser de ce prince, dont il redoutait la valeur, il le fit lâchement empoisonner par une courtisanne; ces faits, diversement racontés par nos historiens, n’entrent pas dans le cadre que je me suis tracé; mais ce qui ressort de tout ce que je viens de rappeler sommairement, c’est que le château d’Amance, à la suite de l’assaut qui lui fut livré par les troupes réunies de l’empereur et de la comtesse de Champagne, dut être détruit en partie, ou du moins considérablement endommagé. Cc qui me confirme dans cette opinion, c’est que, depuis cette époque, il est à peine fait mention de cette forteresse, si ce n’est d’une manière tout-à-fait secondaire. On raconte bien que l’évèque de Metz, Conrard Bayer de Boppart, fut enlevé, en 1459, du chastel d’Arnance, pour être conduit do là prisonnier à Condé; mais ou ne dit rien du rôle que joua ce château dans les guerres de la fin du XVe siècle, pendant que la Lorraine, envahie par un ennemi acharné à sa perte, puisait, dans le patriotisme de ses enfants des forces pour lutter contre ce terrible duc de Bourgogne, qui faisait trembler Louis XI lui-même sur son trône. Il faut donc se borner à des faits matériels, si je puis m’exprimer ainsi, et essayer, à l’aide des quelques documents que nous possédons, de dire ce qu’était autrefois ce château, dont il ne reste pas nième de ruines qui puissent faire juger de son antique splendeur. Suivant D. Calmet, le château d’Amance, qui fut démoli par les ordres de Richelieu, était pentagone, ayant de grosses et fortes tours à ses cinq angles, et sa situation, sur une montagne, le rendait une place de réputation. A part la dernière, ces assertions du savant abbé de Senones paraissent dépourvues de fondement. Richelieu a couvert d’assez de ruines le sol de notre pays, sans qu’on doive encore le rendre responsable des destructions qu’il n’a pas commises. A l’époque de l’invasion française, époque de malheurs pour nos contrées, et dont le souvenir s’est tristement conservé jusqu’à nous, le château d’Amance n’existait déjà plus, ou du moins il était tellement mutilé qu’il ne ressemblait plus en rien à la forteresse dans laquelle le duc Thibaut avait pu résister pendant quelque temps aux troupes réunies de l’empereur et de la comtesse de Champagne. Du XIIIe au XVIIe siècle, ce château avait été successivement possédé, ainsi que la terre d’Amance, par différents seigneurs, et, en dernier lieu, par Othon, comte sauvage du Rhin et de Salm, seigneur de Fénétrange. Le 24 avril 1607, Charles III acquit de ce dernier, moyennant la somme de 19,000 francs, ce qu’il avait aux château, enclos et appartenances do la ville d’Amance. Prés du château était alors une fort belle tour appartenant au duc de Lorraine, et qu’on appelait la Tour de la Porterie. Les murailles en étaient encore bonnes, mais il n’y avait plus de toiture, « à l’occasion de quoi, dit une remontrance du receveur du domaine, si on n’y remédie, elle se ruinera. » En 1608, on répara le corps-de-logis du château du côté de l’église, « la tourelle et le pas d’âne au bout qui est du côté du puits, partie des corps-de-logis jusques et outre la chapelle. » Enfin, en 1612, on recouvrit les deux tours du château. Il parait, néanmoins, que, malgré ces réparations partielles l’ensemble de l’édifice était dans un fâcheux état; on trouve, en effet, dans les lettres-patentes du 10 février 1616, par lesquelles le duc Henry donne à Didier Dattel, son conseiller d’Etat, le château d’Amance et la colline sur laquelle il était bâti, les passages suivants : « Henry, etc. Reçue avons la supplication qui nous a été présentée par notre très cher et féal conseiller d’Etat, Didier Dattel, contenante que comme par le décès de feu son père, vivant notre gruyer et receveur à Amance, lui soient obvenus quelques biens et héritages au ban d’illec et lieux voisins, sans toutefois qu’il y soit pourvu d’aucune maison pour la retraite de lui et des siens, et que l’Altesse de feu notre honoré seigneur et père y ayant depuis plusieurs années en çà, acquesté le chasteau qui souloit appartenir au sieur comte Otltho... ledict chasteau seroit demeuré inhabité depuis lors et tellement deterioré qu’il seroit du tout impossible de pouvoir y habiter, n’estoit qu’on y emploie somme fort notable de deniers pour le réparer, ainsy qu’il nous seroit apparu par la visite qu’en a esté faicte par commission de nos conseillers.., les surintendant de nos finances, président et gens des Comptes de Lorraine.., et affin qu’il et ses hoirs se puissent ressentir de notre gratiffication, sans qu’elle leur soit par trop onereuse, il nous pleut luy prouvoir de quelque autre moyen pour le pouvoir entretenir, et aussy lui permettre de prendre le marnage et bois necessaires à l’entretenement d’iceluy es bois de notre gruyrie dudit Amance et aussy à charge et condition que les grains de notre domaine et recepte dudit Amance qui ont accoustumé d’y estre prins et delivrés, y seront logés en greniers commodes » Le duc fait droit à cette requête, et donne à son conseiller d’Etat « ledict chasteau d’Amance et la colline sur laquelle il est construict, comme le tout se comporte et contient, » en ajoutant cette clause : « VouIons aussy et nous plaist qu’attendu que les tours et murailles d’iceluy chasteau sont de soy fort vielles et caduques pour avoir jà des fort long temps esté negligées, s’il arrivoit par quel accident que ce soit, comme toutes choses prennent fin, que lesdictes tours et murailles qui font l’enceinte dudict chasteau ou partie d’icelles viennent à tomber en ruyne, iceluy Dattel ny ses hoirs ne soient ou puissent estre contrainctz à la reparation d’icelles, n’estante nostre volonté et intention que ceste nostre gratification luy puisse tourner à ruyne ny aux siens.. » Voilà dans quel état Richelieu trouva le château d’Amance; peut-être ordonna-t-il de raser les derniers pans de murailles, mais il ne fit que hâter l’œuvre du temps, que renverser des ruines, et réduire en poussière un squelette qu’un souffle eût suffi pour renverser. Depuis lors il ne resta rien ou presque rien du château d’Amance; aussi, à la fin du siècle suivant, n’y avait-il plus de traces des anciennes constructions, mais seulement des amas de pierres et de démolitions qui couvraient toute la surface et le revers du monticule. Et de même que la propriété de ce château était regardée comme onéreuse en 1616, la propriété de son emplacement paraissait également, 150 ans plus tard, une charge, attendu qu’il ne pouvait être mis en culture qu’en faisant défricher le sol et transporter les pierres , ce qui devait être très-coûteux. C’est ce qui ressort des termes d’une requête adressée en 1774, à la Chambre des Comptes, par M. André Chappé, avocat au parlement de Nancy, qui demandait l’ascensement du monticule sur lequel avait existé le château d’Amance. Avant de faire droit à cette demande, la Chambre des Comptes ordonna qu’il serait dressé un procès-verbal d’arpentage et levé un plan figuratif des lieux. Je parlerai tout-à-l’heure de ce plan, mais je dois d’abord reproduire quelques passages du procès-verbal. « Le monticule, y est-il dit, domine le village d’Amance, au pied de laquelle il est situé, et forme une espèce d’ovale, dans son plan, dont le sommet était occupé par l’ancien château domanial, dont il ne reste pour tous vestiges que les fondements d’une ancienne tour, et un puits qui est comblé, de manière qu’aujourd’hui cette partie n’est plus qu’un amas de pierrailles et un terrain fouillé de toute part, qui ne présente que des creux, des décombres mis en tas et une superficie des plus irrégulières et trés-difficile à aplanir pour la mettre en état de culture, que nous estimons, y compris les murs do clôture qu’ou sera contraint de faire dans son contour pour en soutenir les terres et les empêcher de descendre dans les chemins et rues qui l’entourent, au moins 1250 livres de France, que le censitaire ne pourra se dispenser de faire, s’il veut tirer tout l’avantage possible de ce terrain. « L’étendue de cette monticule, qui est bornée au nord et au couchant par des maisons et jardins de particuliers, au levant et au midi par un chemin qui est commun aux rues du village, contient la quantité de cinq jours ou arpents trois hommées deux toises quarante quatre pieds, mesure de Lorraine. « Nous avons reconnu que la veuve Debout s’était procuré un logement dans le restant de la tour marquée du nombre 20... « Nous avons de même reconnu que le mur de clôture du bas de ladite monticule existait encore dans ses fondements... » Ainsi donc une portion du mur de clôture du monticule, un reste de tour, un puits comblé, des amas de pierrailles et un terrain couvert de décombres, voilà ce qui restait, à la fin du siècle dernier, du château d’Amance, que sa situation avait rendue autrefois une place de réputation. Ce n’est plus aux annales du passé qu’il faut recourir pour étudier son histoire, c’est dans un titre de concession de terrain! Ne semble-t-il pas voir un cimetière établi sur l’emplacement d’une ville qui aurait jadis été vaste et populeuse ?... Au titre que je viens de rappeler est heureusement joint un plan, dressé sur un plus ancien, et dont les lignes indiquent la configuration du château d’Amance. Il n’était point pentagone, comme le prétend D. Calmet, mais formait un octogone irrégulier, dont chacun des angles était défendu par une tour, fortifiée elle-même par une enceinte de murailles, des portes et des tours. Le château formait en quelque sorte le donjon de cette forteresse, que sa situation sur une haute montagne devait rendre extrêmement importante. Dans l’enceinte du château il y avait une chapelle qui a été détruite comme le reste de l’édifice, car on ne doit pas regarder comme la chapelle castrale celle de Saint-Nicolas, figurée sur le plan comme attenant au monticule, et qu’en 1776 son état de vétusté avait fait interdire. Aujourd’hui, le monticule où s’élevait le château d’Amance est entouré de murs peu épais et construits à sec; le terrain est cultivé et l’on y voit encore le puits, large et très-bien fait, qui doit remonter à une époque fort éloignée. Plus heureuse que le château, la ville d’Amance a conservé quelques vestiges de ses murailles, qui étaient d’une épaisseur remarquable; mais ses portes et ses poternes ont été détruites, et de sa splendeur passée il ne reste plus que des souvenirs.
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