l'Illustration 1915

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Théâtre des opérations Grand Couronné Croquis

LES BATAILLES DE 1914

 COMMENT FUT PRÉSERVÉ NANCY

 

Le théâtre des opérations en Lorraine, entre la Moselle et la frontière.

Hors Paris, nef auguste, arche sainte, il est en France deux villes entre toutes que bien des coeurs n’eussent pas, sans un profond déchirement, vues souillées le nouveau par l’invasion barbare; car il leur semble que ce sont deux oeuvres achevés du génie français à deux époques différentes de son essor, deux pures fleurs du terroir et comme deux symboles de la race c’est, dans les brumes frisées de la Seine, Rouen, la « ville aux cent clochers » du poète, la cité par excellence, à mes yeux, de notre moyen âge, et dont, par surcroît, l’holocauste de la Vierge lorraine a fait en quelque sorte un Golgotha national; et c’est, devant les crêtes bleues des Vosges, Nancy, harmonieuse, sobre, parée de toute la grâce qu’a pu répandre sur le monde l’art français à son plus haut degré de perfection, au couchant de la monarchie.

Or, si, même aux jours les plus angoissants que nous venons de connaître, la ville des Corneille ne nous apparut jamais sous le coup d’une menace pressante, on nous avait, par contre, si bien habitués, de longtemps, à l’idée que Nancy, dès les premiers jours, les premières heures de la guerre, pouvait tomber aux mains de l’ennemi, que ce nous fut presque un étonnement de ne point voir se réaliser la douloureuse éventualité à laquelle on nous avait exhortés d’avance à nous résigner.

Pourtant, en fait, la protection de Nancy ne tint point, dans les préoccupations du haut commandement, une place particulière. Quelques sympathies qu’eussent conquises, dans nos coeurs et dans nos esprits, à la très noble ville, et sa beauté accomplie, et son activité actuelle dans toutes les branches de l’industrie, et la vitalité intellectuelle dont elle est l’ardent foyer, sa défense ne fut qu’un point, un élément dans l’ensemble des opérations engagées par les armées du général de Castelnau et du général Dubail, agissant de concert à la frontière de l’Est.

Tout avait été préparé pour retenir en Alsace et en Lorraine, au début des hostilités, le plus grand nombre possible de corps allemands, nous a appris récemment un exposé d’ensemble des opérations publié par le Bulletin des Armées. Dès l’abord, nous prenions l’offensive. En Alsace, une poussée impétueuse nous conduisait jusqu’à Mulhouse. Certaines fautes dans l’exécution du mouvement nous empêchèrent de nous maintenir sur la position ainsi conquise. Toutefois, une nouvelle action conduite par le général Pau nous y ramenait le 20 août. Dans le même temps, nous occupions l’un après l’autre les cols des Vosges. Nous tenions alors les accès de Colmar. En Lorraine, une offensive dirigée vers Sarrebourg et Morhange nous rendait maîtres de Sarrebourg, des Etangs, de Dieuze, Morhange, Château-Salins, Delme. Plus au Nord, les divisions de réserve de l’armée de Castelnau avaient pour mission de couvrir sa gauche d’une attaque possible partie de Metz et de protéger cette avance.

Ce fut une série de brillants faits d’armes. Qui ne se rappelle de quels espoirs nous emplissaient les bulletins journaliers, du 12 au 18 août!

En réalité, nous n’avions enfoncé qu’une couverture, une façade.

Bientôt nos deux armées se heurtaient à un ensemble de positions extrêmement fortes,— surtout l’armée du général de Castelnau, qui se vit tout à coup exposée à une contre-attaque d’une terrible violence : ce fut l’affaire dite de Morhange, d’où elle ne se tira qu’au prix de lourdes pertes, et qui l’obligea de se replier sur la Meurthe et la Moselle, avec, comme direction générale, Nancy. Naturellement, l’armée du général Dubail, qui demeurait en liaison intime avec sa voisine du Nord et lui donnait la main, était entraînée, obligée de retirer aussi sa gauche, d’abord, puis de suivre complètement le mouvement en arrière, d’autant qu’elle-même était fortement pressée par les attaques allemandes. Ce fut une retraite de deux, trois jours, en excellent ordre. Le troisième jour, les deux armées qui avaient étroitement coopéré étaient prêtes non seulement à arrêter l’ennemi, mais à reprendre l’offensive.

Alors commence cette défense victorieuse de Nancy qui, — pour les raisons sentimentales, si l’on veut, que je disais plus haut, — a si fortement passionné l’attention du pays, et qui fut encore, au point de vue militaire, l’une des actions les plus heureuses des deux armées de Lorraine.

Les troupes appelées à couvrir plus particulièrement l’ancienne capitale du roi Stanislas s’étaient installées sur le Grand Couronné, dont le nom est revenu bien souvent en ces jours déjà lointains, dans les communiqués de l’état-major, ceinture de crêtes modérées, de collines basses, qui encercle et domine la jolie ville au Nord-Est, entre la Moselle, la Meurthe et la Seille. Elles s’étaient retranchées là assez fortement, — autant que le leur avait permis le peu de temps dont elles disposaient, et autant qu’on le savait faire à cette époque, où nous étions loin encore de posséder toutes les finesses de la guerre de taupes.

L’effort ennemi qui menaça le plus directement Nancy se porta sur ce point. Il fut violent, car nous avons su, depuis, quel prix attachait le kaiser à la possession de la capitale lorraine. Mais je répète que ce ne fut là qu’un moment, pour ainsi dire, de la bataille qui se poursuivait sur tout le front, des murs de Paris aux Vosges, et surtout de la lutte que soutenaient les deux armées des généraux Dubail et de Castelnau.

 A SAINTE-GENEVIEVE

 On nous a conduits aux deux points où se livrèrent les deux assauts allemands qui voulaient être décisifs, et qui échouèrent après plus de quinze jours d’efforts: Sainte-Geneviève et Amance; mais on ne nous a jamais laissé perdre de vue que la résistance opposée sur d’autres points par les soldats du général de Castelnau, à Saffais, Belchamps, notamment, que les combats terribles, que j’ai contés précédemment, de la forêt de la Chipotte et de Nompatlize, celui de Mandrey aussi, jouèrent leur rôle dans l’arrêt, sur ce point des marches lorraines, de l’offensive déclenchée de Delme, de Château-Salins, de Dieuze, de Sarrebourg, de Strasbourg. Cette résistance au Sud importait grandement, puisqu’elle empêcha que fût tournée l’armée de Nancy. Tout ici s’enchaînait.

Le Grand Couronné de Nancy

De la colline qui s’élève en pente douce de Loisy à Sainte-Geneviève. on a le plus joli panorama sur la vallée où luit, d’argent pâle, la sinueuse Moselle chantée par Ausone, et que domine, décoratif, étrange, couronné de ruines féodales, le piton de Mousson, avec le village d’Atton, à son pied; sur Pont-à-Mousson, indécis au loin dans une buée laiteuse; sur la masse touffue de la forêt de Facq dont les confins, au Nord, se perdent dans la brume; sur les penchants coteaux aux flancs desquels se tordent des ceps. Tout cela sourit, aujourd’hui, sous le soleil d’hiver, mais les tombes fraîches du petit cimetière de Loisy empêchent d’oublier sitôt les combats acharnés de naguère.

C’est à la 59e division de réserve qu’était confiée la mission de défendre, de ce côté, la route de Nancy.

Le 20 août eut lieu à Nomény un gros engagement, suivi, pendant les trois journées suivantes, d’un bombardement intense. Puis il y eut une accalmie jusqu’au 4 septembre. Ce jour-là, sur tout le front devant Nancy, on constate une reprise d’activité. L’artillerie allemande tonne de nouveau; des masses d’infanterie, venues du Nord, remontent les deux rives de la Moselle. Le Mousson est l’objet d’un bombardement particulièrement copieux, — et bien vain, d’ailleurs, car nos troupes l’avaient évacué, après avoir fait sauter le pont de Pont-à-Mousson — puis emporté par un assaut, quasi comique, dans de telles conditions. De l’artillerie était aussitôt mise en batterie sur cette sorte de pic en miniature, qui semble commander toute la plaine toute la journée du 5, la nuit suivante, puis le 6, ce fut une canonnade ininterrompue; le seul village de Sainte-Geneviève, pour sa part, reçut bien deux mille obus :nos soldats, maintenant, emploient leurs loisirs à le rebâtir, à réparer ses toits ajourés.

Le 6 au soir, enfin, vers 18 heures, les Allemands débouchaient de la lisière Sud de la forêt de Facq, leur droite venant s’appuyer à la Moselle.

Dans le cimetière de Loisy, au bord de la route, une seule compagnie d’infanterie les attendait, derrière les murs crénelés que précédait un mince réseau barbelé. Elle laissa l’ennemi s’avancer tant qu’il voulut, sans tirer un coup de fusil; à peine, de temps à autre, un shrapnel aspergeait sa mouvante niasse. Puis, quand il déboucha sur la crête, au sortir d’un champ de betteraves, une effroyable rafale coucha à terre, presque instantanément, les trop confiants arrivants tout ce qui ne fut pas tué ou blessé s’aplatit sur le sol. Le mouvement en fut arrêté pour plus de deux heures. Même alors, les fantassins ennemis renoncèrent à aborder de front la position, qu’ils durent croire beaucoup plus fortement occupée qu’elle ne l’était en réalité.

Panorama de Sainte-Geneviève, la vallée de la Moselle et le Mousson.

Mais cette vallée commande Nancy. Il leur fallait la posséder, pour passer. Afin de franchir la Moselle, dont nous avions fait sauter les ponts à Mousson, Dieulouard, Marbache, ils jetaient en hâte à Pont-à-Mousson une passerelle que nous allions détruire en y revenant. Et tant ils se croyaient sûrs de leur fait qu’il proclamaient : « Demain Sainte-Geneviève, après-demain Nancy » Ne leur avait-on pas donné un ordre formel ?

Tout en gardant les crêtes, ils se tournèrent donc, à leur gauche, vers Sainte-Geneviève, et la lutte recommença, dans un combat de nuit qui fut, de part et d’autre, féroce, — un des plus empoignants épisodes de cette première partie de la campagne, — et se poursuivit encore le lendemain, 7 septembre. Ce fut ici que se manifesta l’héroïsme du chef de bataillon de Montlebert, du 314e d’infanterie. L’intrépide soldat y fut l’âme de la résistance.

Les nôtres avaient compté, pour les appuyer, sur de l’artillerie placée au delà de la rivière. Mais, de ce côté, nous avions reculé. L’ennemi avait occupé le bois de Cuite et, y ayant installé une batterie, prenait nos lignes en écharpe. Son infanterie, sous cette protection, chargeait éperdument, dans une ruée démoniaque, aux sons des fifres et des petits tambours. Ce fut une péripétie angoissante. Quelques hommes, même, faiblirent : le commandant de Montlebert les ramena le revolver au poing.

Il résista indomptablement. Il eût tenu jusqu’à la mort. Quand, acculé par la nécessité, le commandement lui prescrivit de quitter les positions qu’il occupait et de se retirer sur la seconde ligne, l’admirable chef refusa de partir. Même une objurgation plus pressante ne l’ébranla pas. Il exigeait un ordre écrit : quand on le lui eut donné, seulement, il obéit ; mais, quoique blessé, il refusa d’abandonner le combat. Le grade de lieutenant-colonel a récompensé sa fermeté d’âme.

Chose étrange au premier abord, à l’heure de cette retraite, on crut à un combat malheureux. C’était au contraire une des actions les plus favorables que nous eussions soutenues. Les Allemands, de leur côté, sachant le prix que leur coûtait déjà cette attaque, et convaincus de l’inutilité de prolonger un si pénible effort, se repliaient aussi : la constance est vraiment l’une des vertus cardinales de la guerre.

Le 7 au soir, nous réoccupions Sainte-Geneviève.

Quand on pu explorer le champ de bataille, on mesura toute l’étendue de l’avantage que nous avions remporté. La vallée, les coteaux étaient jonchés de cadavres ennemis.

Pont-à-Mousson

On ramassa 703 morts allemands à Atton, 230 au Mousson. Vingt grandes charrettes réquisitionnées firent chacune quatre tours pour nettoyer ces pentes. iDans les vignes, beaucoup de cadavres tenaient encore dans leurs mains crispées les cisailles destinées à couper les fils de fer. Un grand nombre étaient frappés à la nuque, soit que leurs officiers eussent exécuté des lâches qui reculaient, soit que le tir mal calculé des mitrailleuses les eût atteints. Enfin, une constatation donna le secret de la fureur infernale qui avait caractérisé l’assaut nocturne du 6 : la plupart des bidons étaient encore à moitié pleins d’alcool.

 AU MONT D’AMANCE

 Le Grand Mont d’Amance est, en soi, une position très forte. Il se dresse, roide d’abord, plongeant comme un promontoire au bord d’une assez large cuvette où déferle en flots sombres, vers l’Est, la forêt de Champenoux Dans la direction du Sud vient se refermer, à Dombasle, sur la Meuse[1], la demi-lune des hauteurs du Grand Couronné. Château-Salins, d’où s’avançaient de grosses forces allemandes, est en avant, à l’Est, à une quinzaine de kilomètres. Le village même d’Amance, où déjà l’on arrive essouflé, est à mi-côte entre le Petit et le Grand Mont. On imagine mal ce que pourrait être un assaut dirigé contre des crêtes aussi abruptes. Mais, à la vérité, il n’y eut point là d’assaut. Tant pis pour la légende. Toute la bataille se livra au pied de cet imposant contrefort, en avant duquel, le 23 août, ayant résisté jusqu’à Lérouville, où elles s’étaient battues la veille encore, étaient venues se replier nos forces en retraite. Elles n’avaient eu que le temps de s’y reformer quand recommença la lutte.

L'église d'Amance

La 68e division de réserve, appuyée par an gauche à la 59e, que nous venons de voir à l’oeuvre à Sainte-Geneviève, déployait donc son front en avant d’Amance, sa droite se prolongeant jusqu’à Velaine, par Laneuvelotte. Cette ligne même n’a jamais été attaquée, et c’est en avant d’elle, toujours, que l’on s’est battu.

Le 25, notre brigade de droite, la 36e, sous le général de Morderelle, recevait l’ordre d’attaquer vers Champenoux le lendemain. Le 27 au soir, elle avait progressé beaucoup plus que l’aile gauche, ce qui l’obligea à se replier, en laissant un bataillon occuper Champenoux.

Jusqu’au 1er septembre, il n’y eut rien autre que des escarmouches. Nous étions occupés à fortifier les positions acquises. Les Allemands préparaient une attaque, disposant le long de la Seille des batteries lourdes fort bien défilées. Le 1er septembre, ils arrivaient en colonnes denses. Des combats assez sérieux s’engageaient, mais l’action ne s’allumait guère qu’à droite.

Le 3, l’ordre est donné à toute la division de se replier. à l’exception du 212e, qui demeure à Champenoux. On n’attend pas longtemps sur les positions nouvelles dans la nuit du 4 au 5, les Allemands commencent un formidable bombardement, qui ne va plus s’arrêter de huit jours. Ceux de nos canons qui occupent cette éminence sont accablés par les gros obus qui, sans causer de graves dégâts effectifs, rendent leur action impossible. Le plateau d’Amance, d’où l’on peut suivre, comme sur une vaste carte, toutes les phases de la bataille n’est qu’un chaos où s’enchevêtrent des rails tordus, où se creusent des fondrières à loger quatre ou cinq hommes, où l’on foule à chaque pas des éclats de pierre et des éclats d’acier, un coin de terre ravagé par la trombe de fer et de feu commue par le plus effroyable des cataclysmes : je retrouve là, pour la première fois, aussi intense, aussi poignante, l’impression de dévastation que j’avais éprouvée devant le secteur d’Aïvas-Baba, à Andrinople, saccagé par la trombe serbe.

Le 5 au matin, l’ennemi prononce une double attaque sur Erbéviller, d’où notre 344e est repoussé, et sur Champenoux, où le 212e se maintient énergiquement. Et toujours le Mont d’Amance est écrasé d’obus sans qu’il soit possible de repérer l’artillerie ennemie. Mais les assaillants, malgré leurs efforts renouvelés dans les deux journées des 5 et 6, n’arrivent pas à déboucher des bois de Champenoux; les deux brigades, la 135e à gauche, la 136e à droite, les contiennent sans faiblir.

Et la 7, nous attaquons à notre tour sur tout le front. franchissons le plaine, gagnons la lisière des bois. Quel acharnement Mais l’ennemi ne le cède ni en résolution ni en vigueur. Le 206e d’infanterie, appelé comme renfort, voit tomber, frappés à mort, son colonel, deux de ses chefs de bataillon. Il est décimé. Il se replie, entraînant le 212e que sa retraite laissait découvert. Le 234e, à gauche, est arrêté à la lisière de la forêt.

Nos troupes sont terriblement éprouvées. Pourtant, le 8, après avoir à peu près comblé les vides, on réattaque, dans l’intention de reprendre Champenoux. Comment ne pas sentir son coeur bondir d’orgueil, en présence d’une si persévérante intrépidité! Hélas ! les hommes semblent décidément à bout, épuisés par un effort trop prolongé. L’adversaire, sans doute, subit une dépression pareille, a besoin de repos, et le 9 une accalmie se fait. On se retranche sur les positions gagnées, occupant la Sud de la forêt, que les Allemands avaient abandonné. Des renforts, cependant, nous arrivent, un régiment venu de Toul, formé partie du 168e et partie du 169e. Le 10, le combat reprend, sous bois, principalement. Mais nos soldats, affamés, harassés, hagards, ne tenant plus, marchent comme des hallucinés, à peu près inconscients. Ils ne peuvent progresser, sauf un détachement qui, entraîné par une volonté supérieure, arrive à prendre pied au coeur des bois, au bord de l’étang de Brin. Quant au régiment venu de Toul il est presque anéanti. Visiblement, nous sommes à bout de souffle, écrasés par des forces infiniment supérieures. Nous n’allons pas tenir quelques heures de plus.

Maisons d'Amance après le bombardement.

O prodige! Une fois encore est vaincu celui qui avoue l’être: voilà que le 12 le calme se fait. L’ennemi a renoncé, bat en retraite tout de bon, alors, abandonne tout, Champenoux, si frénétiquement disputé, et le front entier qu’il occupait. Il se retire en colonnes denses, sans faire mine, même, de vouloir résister. Tour à tour, Saint-Dié, Lunéville, Baccarat, Raon-l’Etape, Pont-à-Mousson, sont réoccupés par nous.

Au cours de cette série de véhémentes batailles, trois divisions avaient tenu quinze jours le front qui s’étend, en un arc de cercle dont la Moselle et la Meurthe forment la corde, de Pont-à-Mousson à Dombasle. Contre quelles forces ? On ne le saurait dire au juste ce, du moins, dont on est sûr, c’est que les Allemands nous étaient quatre ou cinq fois supérieurs en nombre. Ils ont donné sur ce point tout ce qu’ils pouvaient bien donner. On sait, — par la petite feuille officielle allemande, publiée pour l’édification des populations belges, dont nous avons reproduit, dans notre numéro du 5 décembre, le fac-similé, —quel spectateur de marque exaltait de son olympienne présence les martiales vertus de ses soldats, au plus fort de la furieuse mêlée. L’empereur était là. Une romanesque narration nous l’a même montré assistant, d’un tertre, à la charge de ses beaux cuirassiers blancs contre le Grand Couronné. Le merveilleux sujet pour une image d’Epinal made in Germany ! Mais il suffit d’avoir contemplé du haut du Mont d’Amance ce rude champ de bataille, sur lequel pèse encore la tragique horreur de ces journées, pour sourire doucement de cette fable, ainsi que faisait le très docte officier d’état-major qui nous la rappelait au souvenir. Du moins, le rêve théâtral d’une entrée en grande pompe est si conforme au génie néronien du kaiser, que, redescendant vers Amance, tout remués encore du récit poignant que nous venions d’entendre, presque de vivre, par ce crépuscule triste et froid où nous nous perdions en un morne défilé d’ombres, nous ne pouvions nous tenir d’évoquer, les yeux tournés vers Nancy toute proche qui s’allumait, l’atroce, l’odieuse vision de ce qu’eût été, fifres sifflant, tambours battant, enseignes éployées, plumets au vent, le défilé des Barbares de Reims, d’Ypres, d’Arras dans ce décor exquis de la place Stanislas ou de la Carrière, parmi ces chefs-d’oeuvre de rythme, de mesure, de grâce libre et de calme beauté, les palais d’Emmanuel Héré et les grilles de Jean Lamour, au milieu de ces merveilles d’harmonie, de sagesse, d’esprit de perfection française, pour tout dire. Et notre hommage reconnaissant, nos actions de grâces montaient vers ceux qui nous épargnèrent cet outrage, les soldats héroïques, les chefs valeureux, le Dieu des Armées.

 

La défense du plateau d'Amance, d'après le croquis d'un combattant

Gustave Babin.


[1] Erreur de l‘auteur, Dombasle est sur la Meurthe.

 

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