Sorcellerie 1591

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Procès en sorcellerie

Un procès de sorcellerie (1591)

 Origine : Henri LEPAGE, Une procédure de sorcellerie au XVIème siècle. Dans annuaire de la Meurthe 1857 p 64 et suivantes, extraits

 La sorcellerie fut au XVIème siècle une véritable épidémie. Les sorciers passaient pour être en relation avec le diable. Les esprits les plus critiques du siècle — le fameux Ambroise Paré, par exemple, — étaient convaincus de l’existence des sorciers. Lorsqu’un homme était soupçonné de sorcellerie, il était jugé et, lorsque la preuve de son crime était faite, il était mis à mort. Un magistrat lorrain, Nicolas Remy, qui fut successivement membre du tribunal des échevins de Nancy (1576) — juridiction qui examinait tous les procès de sorcellerie — puis procureur général de Lorraine (1591), fit une guerre impitoyable aux sorciers. Dans son livre sur la Démonolâtrie, composé en 1592, il rapporte qu’en quinze années, il avait envoyé au supplice neuf cents victimes (cf. Chr. PFISTER, Histoire de Nancy. t. II, p. 555—593). Ce document donnera un exemple intéressant de procès de sorcellerie et renseignera sur la procédure, et notamment sur la « question » (cf. DUMONT, La justice criminelle des duchés de Lorraine et de Bar. Nancy, 1848, t. 1, p. 78 et sq.). La première partie du document est consacrée aux dépositions des témoins. Voici ce qui concerne l’interrogatoire des accusés, Jean Bulmé et Didière, sa femme, de Mazerulles.

 Et après qu’il [Bulmé] a été mis entre les mains dudit maître des hautes oeuvres et appliqué bien étroitement à la question pour ce dressée, il a commencé à crier « Miséricorde, l’on me fait grand tort; je ne fis jamais mal ».

Sur quoi lui a été demandé s’il avoit entendu tous les interrogats[1] que lui avons présentement faits, résultant des dites procédures? A dit que oui; mais qu’il n’en est du tout rien des faits que l’on lui impose, et qu’il est fort homme de bien.

Et, après ce qu’il a été assez longtemps à la dite question sans vouloir autrement répondre, a encore été par ledit exécuteur détiré bien étroitement.

Sur quoi il a dit qu’on le mette à delivre et que, sur sa foi, il dirait la vérité, ce qui a été fait. Et sur ce, étant interrogé s’il n’a pas été déçu par l’esprit malin, et comme ç’a été? Dit que non et qu’il ne le vit jamais, et ne sait ce que c’est d’être sorcier.

Interrogé s’il est souvenant avoir été accusé du fait par quelques personnes qui ont été exécutées pour tel crime? Répond que oui, mais qu’il en a été descoulpé[2], et que ce qu’il en avoit été enchargé a été par une petite haine contre des femmes exécutées au lieu de Brin[3].

Et voyant que sur tous et chacuns interrogats à lui faits sur les charges résultantes contre lui esdites procédures il ne vouloit répondre pertinemment, ains[4] noue tenant en ses denégations et variations, il a derechef été appliqué à la question, et y bien étroitement détiré laquelle il a bien longtemps endurée sans vouloir répondre pertinemment auxdits interrogats.

Sur quoi lui a été dit par ledit exécuteur qu’il lui feroit bien dire la vérité, et qu’il le serreroit bien davantage; ce qu’incontinent il a fait. Et, après qu’il a eu encore enduré la peine, il a déclaré qu’il n’en pouvoit plus et qu’il étoit contraint de vérité.

Lui a sur ce été demandé derechef s’il a été séduit et abusé par le malin esprit, et comment ç’a été? A répondu que oui, et qu’il est sorcier; et supplie très humblement et en l’honneur de Dieu qu’il soit délâché des peines qu’il endure, et qu’il n’en peut plus, et a tous les membres hors des lieux, et qu’il dira la vérité.

Et, avant ce faire, lui a aussi encore été demandé qui est celui qui l’a séduit, et comme ç’a été, en quel lieu, et comment il a connu être le malin esprit? A répondu que son maître s’appelle Persy, et que, quand il sera à delivre[5], il déclarera au vrai tout le reste, ensemble le mal qu’il a fait.

Quoi oyant, lui avons dit qu’il ne nous abuse pas, et que, s’il persiste encor en ses dénégations et variations, il sera encor reappliqué plus que devant à la dite question; ce qu’il a promis d’ainsi faire, et qu’il veut sauver son âme, et qu’il voit bien n’en pouvoir échapper par autre moyen.

Au moyen de quoi il a été délivré de ladite question et laissé quelque peu reprendre son esprit, afin qu’il n’offense sa conscience.

Et, après ce, lui avons derechef demandé qui étoit son maître, lequel l’avoit trompé et déçu? Il a dit: Qu’il crie merci à Dieu, à Son Altesse[6] et à justice des fautes, offenses et faux-serments qu’il a faits et prêtés par devant nous, par lesquels il pensoit échapper la punition qu’il a desservie pour les maux qu’il a faits.

A dit en outre qu’il a été abusé par l’esprit malin sont environ dix ans[7], et étoit un certain jour qu’il gardoit un des troupeaux dudit Mazerelles en un bois appelé l’Essanchaisne.

Interrogé comment il s’apparut à lui et quel propos il lui tint? A répondu que, comme il étoit à la garde de son dit troupeau, au temps des neuf semaines, ses bétails lui faisoient tant de mal à les contregarder de taire dommage à certains chaptés[8] qui étoient proches dudit bois d’Azeja, il se mit a soi désespérer par ce même qu’il craignoit d’être gagé, ou que plusieurs jeunes bêtes étant audit troupeau ne se perdissent parmi le bois, disant en soi-même: « Hélas, que ferai-je si telle chose survient? »

Où. à l’instant, survint ledit Persy, qui étoit monté sur un cheval noir; lequel lui dit: « Mon ami, qu’est-ce que tu as? tu es fort contristé. » Lui fut répondu par ledit Bulmé qu’il avoit tant de mal à l’entour de son bétail qu’il n’en pouvoit plus.

Sur quoi, lui fut dit par ledit Persy que, si il le vouloit servir et faire pour lui, qu’il feroit bien qu’il n’aurait plus tant de mal à l’entour de sondit troupeau, et qu’il le rassembleroit quand il voudroit.

Lui fut répondu par ledit Bulmé qu’il en étoit content et qu’il feroit ce qu’il voudroit. Et aussitôt ledit Persy le piqua au front, ainsi que pourroit faire une mouche à miel, sans qu’il en sentît grande douleur : et lui donna à l’instant ledit Persy un pièce jaune comme or, laquelle il pensoit avoir mise en sa bourse, mais il ne la put jamais recouvrer, et ne sait ce qu’elle est devenue; et que ledit Persy ne lui fit aucunement renier Dieu, parce que jamais ne l’en ouït parler, ains lui dit pour lors qu’il n’auroit jamais besoin d’argent.

Interrogé en quelle forme étoit ledit Persy, et s’il étoit semblable à un homme naturel, tant au corps qu’en ses membres? Répond qu’il étoit en apparence d’un beau jeune homme brun, mais qu’il aperçut ses pieds être fourchus ainsi que des pieds de vache. Et ne firent autre chose pour lors, sinon que ledit Persy lui demanda si il avoit une femme, qu’il fît tant que de l’amener, environ trois semaines après, audit bois d’Azeja; qu’il la convertit de le semblablement servir, et qu’il leur feroit du bien; ce que ledit Bulmé accorda faire, moyennant que ledit Persy donnât aussi argent à sa dite femme.

Interrogé si ledit Persy lui donna quelques poudres vénéfiques pour faire mourir ou languir quelques personnes et bétails? Dit que ledit Persy lui en donna de la jaune ladite première fois, et qu’il lui dit, si il avoit haine contre quelques uns, qu’il lui en jette sur ses habillements, et qu’il verroit bien ce qu’elle sait faire. Et de là se départirent l’un de l’autre; et s’en alla ledit Persy parmi ledit bois où, à l’instant, lesdits bétails, qui étoient égarés, se rassemblèrent sans que ledit Bulmé en sût rien. Et, venu sur le soir qu’il s’en retourna à la ville, il montra ladite poudre à sa dite femme, et lui raconta entièrement comme il l’avoit eue, et qu’il avoit promis la faire servir à celui qui [la] lui avoit donnée, en recevant par elle aussi argent comme il avoit fait; à de quoi ladite Bulmée[9] convint aussitôt, et promit audit son mari aller avec lui trouver ledit Persy lorsqu’il l’en requéreroit.

Interrogé ce qu’il fit de ladite poudre et s’il éprouva ainsi que ledit Persy lui avoit déclaré et enseigné? A répondu que bien longtemps après, par le consentement et aveu de ladite Bulmée, sa femme, après qu’elle fut aussi déçue, comme il sera dit ci-après, ledit Bulmé en jeta sur une vache d’un nommé Nicolas Bazin, dudit Mazerulles, laquelle en mourut peu de temps après ; et étoit parce que ledit Bazin avoit ravalé la herde[10] dudit Mazerulles sur ses mains; et le reste de ladite poudre, il le retint par devers [lui] ; laquelle il mêla avec de l’eau, que ledit Persy lui donna une autre fois qu’ils se retrouvèrent par ensemble.

A dit outre avoir reçu par plusieurs fois dudit Persy de ladite poudre vénéfique, savoir: de la noire et de la jaune pour faire mourir, de la grise pour faire languir et de la blanche pour reguérir.

A aussi déclaré être chose véritable que lui et sadite femme allèrent, au bout desdites trois semaines, trouver Iedit Persy en un bois appelé Azeja, ainsi qu’il lui avoit dit la première fois; et, illec[11] étant à la garde de leur troupeau, arriva ledit Persy, qui étoit lors tout à pied; et demanda audit Bulmé: « As-tu converti ta femme? » Laquelle répondit qu’elle étoit contente comme lui, mais qu’il lui donnât aussi l’argent. Où à l’instant ledit Persy mena ladite Bulmée un peu plus loin dans ledit bois mais ne sait ce qu’ils y firent. Et, ainsi que ladite Bulmée fut revenue auprès lui, elle lui donna une grosse pièce d’argent que ledit Persy lui avoit donnée ; laquelle icelui Bulmé ne voulut, et dit à sa dite femme qu’elle la garde, et qu’il la pourroit aussi bien perdre que la première, mais qu’il ne vit pour lors davantage ledit Percy, et ne reçurent aucunes poudres dicelui.

A dit outre qu’environ quelque temps après qu’ils avoient eu ladite pièce d’argent, il la demanda à ladite Bulmée, sa femme, pour aller acheter des souliers à Saint-Nicolas[12], laquelle il ne put jamais mettre[13], et disoit-on qu’elle était fausse, et le vouloit-on faire mettre en prison. Et, ainsi qu’il s’en retournoit, passant sur le pont dudit Saint-Nicolas, il regarda encor sadite pièce, laquelle étoit devenue comme jaune métal, et la jeta de dépit en l’eau sous ledit pont : auquel lieu il connut qu’ils étoient déçus et trompés. Mais il ne se put jamais défaire dudit Persy, et il falloit qu’il l’obéit toujours quand il le retrouvoit.

 Vues par les maître échevin et échevins en la justice d’Amance[14] soussignés, les procédures extraordinairement faites, à requête de M. le procureur général de Lorraine, contre Jean Bulmé et Didière sa femme, de Mazerulles, tous deux détenus prisonniers audit Amance pour le fait et crime de sorcellage, par lesquelles procédures appert suffisamment lesdits Bulmé et sa femme avoir confessé, tant en leurs auditions de la question à eux donnée par l’exécuteur des hautes oeuvres du duché de Lorraine, qu’étant délivrés d’icelle, avoir adhéré au diable, par l’instigation duquel ils ont commis plusieurs maIs et sorcelages, comme d’avoir, avec poudre vénéfique d’icelui, fait mourir plusieurs personnes et bétails dudit Mazerulles vu même les conclusions faites sur lesdites procédures par ledit sieur procureur général de Lorraine, ensemble l’avis de MM. les maître échevin et échevins de Nancy pareillement, et, en conformité de quoi, les confessions réitérées par ledit Bulmé et ladite Didière, sa femme, aussi jointes audit procès, conformes à celles que par ci-devant ils ont eu faites obstant leurs variations et dénégations, pour réparation desquels crimes les avons condamnés et condamnons eux et chacun d’eux, d’être mis et exposés à la vue du peuple, .le col au carcan, l’espace de demi-heure, plus ou moins, par ledit exécuteur des hautes oeuvres; de là être conduits et amenés au lieu où l’on a accoutumé supplicier les prisonniers criminels détenus audit Amance, et, illec, être attachés chacun à un poteau pour ce expressément y dressé, puis après être leurs corps ars[15], brûlés et rédigés en cendre, leurs biens acquis et confisqués à qui il appartiendra, sur lesquels au préalable se prendront les frais et dépens de justice raisonnables, le tout à l’exemple et terreur d’autres, par notre sentence définitive, jugement et à droit. Fait audit Amance, ce seizième jour du mois de juillet 1591.

[1] Les interrogatoires

[2] Disculpé

[3] Meurthe-et-Moselle. arr. Nancy, cant. Nomeny

[4] Mais

[5] A l’aise.

[6] Le duc de Lorraine

[7] Il y a environ dix ans

[8] Biens

[9]  Féminin de Bulmé, la féministation des noms propres est courante en Lorraine (Cottel, Cottelle, etc.)

[10] Le troupeau

[11] Là, en ce lieu là

[12] Saint-Njcolas de Port

[13] Placer.

[14] Mazerulles dépendait de la prévôté d’Amance (canton de Nancy).

[15] Synonyme de brûlé

 

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